Publié sous forme d’esquisse chez Jean-Jacques Pauvert en 1959, puis sous sa forme définitive aux USA en 1965 et en 1975, Hollywood Babylone de Kenneth Anger vient de paraître chez Tristram en collection souple. Une photo de Jayne Mansfield orne la couverture de ce délicat volume, joliment édité (papier fin, mise en page plaisante et reproductions de photographies rares) et surtout admirablement écrit.
Si l’ensemble des commentateurs insistent sur le manque de véracité des faits rapportés, l’intérêt du livre est ailleurs : la capacité de Kenneth Anger à décrire la face sombre d’Hollywood, partie intégrante du mythe, et surtout à saisir l’évolution de ce même mythe.
Contrairement à ce que l’on découvre sur les quatrièmes de couverture de nombreux ouvrages, la naissance de la légende noire est simultanée de celle de la “cité des rêves”. Dès les années 1920, les stars du muet sont l’objet de scandales en tous genres : suicides, assassinats, meurtres et abus sexuels variés. La prohibition et la consommation massive de drogue donnent un poids significatif à la pègre, racketteuse mais aussi grande pourvoyeuse de produits interdits, stupéfiants ou humains, ingrédients indispensables des fêtes pharaoniques qui rythment l’existence du milieu cinématographique.
Sur ce terreau prospèrent maîtres chanteurs, presse à scandale, ligues de vertus et politiciens conservateurs, dont le fameux Hays qui donnera naissance au code du même nom. La soudaineté et la fragilité des carrières entraîneront tous les excès et toutes les déchéances.
La puissance des studios s’affirme dans les suites données aux différentes affaires : absence d’enquête, corruption de la police et de la justice, achat des politiques… Ainsi, chaque scène de crimes est visitée par des pontes des studios avant que la police soit prévenue.
Nombre de trajectoires de nouveaux dieux s’apparentent à celles d’étoiles filantes ou encore à celle des décors de Babylone créés par Griffith pour Intolérance : fastueux et démesurés, surgis de nulle part, ils sont rapidement abandonnés à la ruine. C’est dans le même état que l’on retrouve les anonymes attirés par les projecteurs, victimes de la “ruée vers l’or des dupes qui ne laisse sur le carreau que d’amères épaves”. Hollywood apparaît tel un véritable Saturne dévorant ses enfants.
Si Kenneth Anger oscille entre fascination et répulsion, entre adhésion et condamnation, entre voyeurisme et moralisme, son regard est précieux en ce qu’il s’attache à décrire les parcours et les vies brisés par l’effroyable machine hollywoodienne. De Fati Arbuckle à Frances Farmer (“la plus abominablement tragique des tragédies hollywoodiennes”), de Charles Chaplin à Errol Flynn, de Von Stroheim à Lupe Vélez, toutes les stars de l’époque, oubliées ou non, sont présentes dans ces pages.
Il est également l’un des premiers à détailler l’évolution historique d’Hollywood : aux premiers temps festifs succède la Crise, renforcée par l’apparition du parlant générateur de déchéances (cf. A Star is born, chef-d’œuvre de William Wellman). Surmontée dans les années de guerre, la menace réapparaîtra avec le développement de la télévision et la fin de l’âge d’or au cours des années 1950, avant la chute définitive des années 1960, conclusion du livre.
De même, le développement de la presse à scandale, jusqu’à l’apogée qu’incarne Confidential, s’accompagne dès les années 1940 d’un changement de regard du public sur les stars elles-mêmes. Le scandale sexuel ou la consommation de drogue n’entraîne plus de condamnations morales fatales aux carrières artistiques. On apprend également que l’emploi de “sortir ensemble” pour décrire une liaison est l’invention de la commère plumitive Louella Parsons, et que l’expression “has-been” fût employée pour la première fois pour désigner les stars victime du “double holocauste Film parlant / Krach Boursier.”
Hollywood Babylone, fantastique présentation du mythe à travers son envers, est également une magnifique galerie de portraits, point de départ de nombreuses œuvres de fictions ayant pour cadre Hollywood, des romans de James Ellroy à ceux de Megan Abott.
Hollywood Babylone, Kenneth Anger, Tristram souple, 11.95 €
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